daniel buren // BJRV in situ

8 novembre 2014   17 janvier 2015

vernissage •  samedi 8 novembre 2014

Daniel Buren : Rencontre avec un format

Une correspondance est née en 2012 avec un moment clé le 14 septembre 2013 lorsque je reçois par mail un long message de DB transmettant son projet pour la page centrale du journal horsd’oeuvre n°32.

Cette page blanche, que l’on offre comme support aux artistes invités, a toujours été pensée pour Interface comme une extension à son activité de programmation d’expositions. Là où les propositions se cantonnent parfois à son simple format (59,4 x 42 cm, ce qui n’est déjà pas si mal !), DB a laissé le champ ouvert à 4 possibilités, complexités d’impression de sa création. Les mots employés par celui-ci étaient déjà au-delà du format, au-delà du journal et son travail de mise en espace présent malgré ce support en 2D. La générosité et la liberté de produire l’une ou l’autre de ses 4 propositions étaient là, à l’étude et totalement dans un rapport d’échange entre lui et moi.

L’envie était trop forte de jouer la complexité et de faire les choses d’une façon inédite au sein du journal : 4 couleurs (bleu, jaune, rouge, vert) utilisées une par une, à chaque quart du tirage global avec un renversement ou/et une inversion « en miroir » de la forme proposée pour obtenir 4 pages différentes. Pour réunir une vue d’ensemble, il fallait donc cueillir 4 journaux différents déposés arbitrairement dans les lieux d’art contemporain de notre liste de diffusion.

Cette page fonctionnait toutefois de façon autonome, sans réduction de son principe de base inhérent à ce format imposé : une répartition de rayures verticales (de largeur habituelle de 8,7 cm) à partir du centre du papier, le tout coupé par sa diagonale pour former un aplat de la même couleur que les rayures qui formaient le reste du format. La largeur du papier n’étant pas un multiple exact de 8,7 cm, les bandes sur les extrémités gauche et droite étaient donc légèrement plus petites : ne cherchez donc pas l’erreur d’impression, la diagonale ne passe pas tout à fait par les angles du papier !

C’est ici précisément que démarre la notion d’espace, du hors champ et de ce que l’on peut définir comme l’amorce d’une réflexion au-delà du format imposé. La diagonale est tracée comme si les bandes extrêmes étaient complètes, d’où ce décalage de quelques millimètres par rapport à l’angle du papier. Le jeu des 4 couleurs, le renversement ou basculement du dessin original apportent de la matière à faire œuvre et pas seulement édition.

Le 30 décembre 2013, DB vient à Dijon certifier en toute discrétion les éditions produites, séries unitaires et séries complètes des 4 couleurs : un jeu laborieux pour ne pas se mélanger les pinceaux !… mais oh combien nécessaire car c’est bien en manipulant physiquement les feuilles, leur sens de lecture, qu’une réflexion est née pour savoir comment les présenter « ensemble ». Tout semblait plus ou moins fonctionner et il fallait néanmoins poser des bases à transmettre aux futurs acquéreurs.

Deux choses furent proposées rapidement par DB, à savoir respecter l’ordre alphabétique des couleurs de haut en bas (donc : bleu, jaune, rouge, vert) et présenter si possible verticalement les unes au dessus des autres les 4 éditions. Une liberté, qui a son importance dans le projet d’exposition à Interface, est laissée à l’acquéreur de tourner dans un sens ou dans l’autre (tête-bêche) chacune des éditions en respectant évidemment le sens des rayures verticales. Ce détail produit au final 16 variantes d’accrochage à partir d’un même ordre des couleurs.

Le 4 février 2014, je propose par mail à DB un projet de mise en espace à Interface des éditions produites pour le journal horsd’oeuvre. Seulement 10 jours après, DB me répond avec enthousiasme à cette perspective d’exposition qui vient donc se mettre en place aujourd’hui dans l’appartement/galerie.

Le postulat initial de ce projet est donc la mise en espace des variantes possibles d’accrochage des séries BJVR. Au maximum, 16 combinaisons sont envisageables, la dimension de notre lieu et la réflexion de DB sur cet espace singulier, emmèneront le visiteur à la découverte et à la lecture d’une œuvre singulière, in situ où les murs, les rapports des blancs, des interstices entre les éditions auront autant d’importance que les permutations et basculements du dessin et des couleurs.

Enfin, comme une ponctuation à cette collaboration, une autre œuvre sera présentée également au sous-sol d’Interface. Il s’agit de Que la Lumière soit – E bleu, travail situé, 2007 appartenant à la collection Géotec (Quetigny). Par son format carré et par son vocabulaire le plus radical, cette pièce est pourtant bien dans une contemporanéité liée à son matériau même de fabrication. Le visiteur passera donc du support classique du papier à celui de la fibre optique. Ce panneau totalement blanc prend tout son sens à l’allumage électrique et l’œuvre surgit de la matière. Une contemplation pigmentaire réalisée à partir d’un tissage extrêmement fin et invisible grâce à cette nouvelle technologie de conduction de la lumière et de la couleur.

Frédéric Buisson

article paru dans le Bien Public